Les systèmes de santé français et allemand partagent de nombreuses similitudes : niveau de dépenses équivalent (11 % du PIB en France et 10,9 % en Allemagne en 2013, contre 8,9 % en moyenne dans l’OCDE), répartition analogue entre prestataires de soins, liberté de choix offerte aux patients, financement du risque maladie majoritairement assis sur les cotisations sociale, etc.
Si les deux systèmes se rejoignent sur bien des points, leur situation financière, elle, diffère, comme l’a rappelé la Cour des comptes en 2015, dans son rapport sur la sécurité sociale. Alors que l’assurance-maladie française cumule près de 105 milliards d’euros de déficit sur la période 2000-2014, l’assurance-maladie allemande parvient à dégager un excédent de 12 milliards d’euros sur la même période. Un écart d’autant plus surprenant que l’Allemagne subit plus encore que la France la multiplication des maladies chroniques du fait du vieillissement accéléré de sa population. Comment, avec une situation démographique pourtant plus pénalisante, l’Allemagne parvient-elle à dégager de telles économies ?
Augmentation de la participation financière des patients
L’Allemagne s’est engagée, dès le début des années 90, dans une réforme structurelle de son système de santé faisant du retour à l’équilibre financier de l’Assurance maladie son objectif prioritaire.
Avant les réformes, la participation des ménages allemands dans le financement des soins était faible, beaucoup de prestations, comme les consultations ou les médicaments étaient intégralement en tiers payant. La première réforme, en 1989, a ainsi consisté à accroitre la participation financière des ménages pour plusieurs postes de dépenses (cures, prothèses dentaires, optique, transports), avec la mise en place de franchises et de co-paiements. A partir de 2004, un nouveau panier de soins est défini : il est plus restreint qu’en France, mais son remboursement est intégralement pris en charge. Cette première orientation a permis une meilleure régulation de la dépense publique, sans pour autant augmenter considérablement le reste à charge (RAC) des ménages allemands, qui est aujourd’hui à peine supérieure au RAC français. Le maintien d’un reste à charge peu élevé est garanti par l’instauration d’un mécanisme de « bouclier sanitaire » : en dessous d’un seuil fixé par la loi, les tickets modérateurs et franchises restent à la charge de l’assuré ; au-delà, l’assurance maladie allemande lui garantit une couverture intégrale.
Délégation de gestion aux opérateurs locaux et mise en concurrence
Deuxième étape : la réforme Seehofer de 1996, qui a progressivement réintroduit des mécanismes concurrentiels entre les différentes caisses d’assurance, tandis qu’une totale autonomie de gestion leur était accordée. Chaque caisse est désormais responsable de son propre équilibre comptable et contractualise avec les prestataires de soins sur la base d’une enveloppe budgétaire correspondant aux besoins sanitaires des patients, qui disposent d’une liberté totale dans le choix de leur assurance. A partir de 2005 sont également inscrites dans la loi l’obligation pour les caisses d’assurance maladie d’assurer leur équilibre comptable et l’interdiction d’emprunter. La mise en concurrence des opérateurs, couplée à une doctrine budgétaire très stricte, aurait permis de réaliser des gains d’efficience considérables tout en garantissant une plus grande adaptabilité de l’offre de soins aux besoins des patients. Des conclusions qui demeurent cependant discutées.
Restructuration en profondeur des hôpitaux publics
A partir de 1992, le secteur hospitalier, confronté à des difficultés financières majeures, fait l’objet de réformes structurelles destinées à améliorer la qualité des soins tout en réalisant les gains d’efficience nécessaires à l’équilibre des finances publiques : un forfait par pathologie similaire à la tarification à l’activité ou française est introduit pour fixer l’enveloppe budgétaire des établissements de santé, tandis que les hôpitaux les moins performants du secteur public (majoritairement des hôpitaux de l’ex-RDA) sont soumis à la fermeture ou au rachat par le secteur privé. En 20 ans, l’Allemagne a ainsi divisé par deux son nombre d’hôpitaux publics, qui ne représentent plus que 50% des établissements de santé encore en activité en 2015 contre 30% pour les établissements confessionnels et 20% pour les cliniques privées.
Quel bilan tirer de ces différentes réformes ?
Le bilan de ces différentes réformes est globalement positif. Réussite du point de vue économique, la réforme n’a pas engendré de dégradation notable de la qualité des soins, ni creusé les inégalités. L’Allemagne est parvenue en l’espace de 20 ans à ralentir de près de 1% le rythme de croissance de ses dépenses de santé (données OCDE, 2015), et l’Assurance maladie affiche chaque année une situation excédentaire. Si la France a réussi à réduire encore davantage ses dépenses (de près de 5 %), cette réduction ne s’est pas accompagné d’un assainissement financier, bien au contraire : les déficits ont perduré et la dette s’est accumulée, la France ayant refusé d’entreprendre les réformes structurelles nécessaires. Notons enfin que la privatisation des hôpitaux publics les plus défaillants a notamment permis de générer des gains d’efficacité de 3,2 à 5,4% supérieurs à ceux des hôpitaux restés publics (selon une note du Hamburg Center for Health Economics).
Cependant, à l’instar des autres pays de l’OCDE confrontés au vieillissement de leur population, l’Allemagne rencontre d’importantes difficultés dans le traitement des maladies chroniques faute d’être parvenue à prendre le virage ambulatoire nécessaire à la prise en charge optimale de ces pathologies.