Les règles du « détachement transnational de travailleur » sont un véritable casse-tête pour les entreprises badoises. Oscillant entre colère et perplexité, elles y voient un décalage fâcheux avec les principes fondamentaux du marché intérieur européen et pointent un protectionnisme caché.
Cette réglementation impose aux entreprises étrangères de faire une demande d’attestation de détachement à chaque envoi d’un salarié sur le territoire français, quelles que soient la nature et la durée de son intervention. Officiellement pour combattre le travail illégal et protéger les salariés travaillant sur le sol français en leur garantissant le SMIC.
De la théorie à la pratique
Mais dans la région, la théorie entre en conflit avec la réalité des échanges transfrontaliers. « Avec cette blanchisserie badoise, par exemple, qui ramasse chaque jour le linge sale chez ses clients alsaciens et doit déposer une demande à chaque traversée du Rhin, raconte Pascale Mollet de la IHK à Fribourg, ou cette entreprise qui envoie un collaborateur assister à une réunion ou visiter un salon en France. Cela alourdit nos efforts de coopération transfrontalière à tous les niveaux. »
Qui plus est, les entreprises doivent désigner un représentant sur le sol français à l’intention de l’Inspection du travail. Ce qui a fait émerger des soi-disant prestataires, offrant leurs services « d’interlocuteurs » à des tarifs parfois totalement farfelus.
Cette mesure bride la réactivité et l’efficacité des entreprises face aux clients français, confirme Olaf Kather de la fédération badoise du commerce. Sans remettre en question la protection du travail légal, il considère que le système mène à l’absurde. Même en cas de complaisance, donc de prestation gratuite, le prestataire devra faire les démarches. Or, « la flexibilité d’une entreprise est un argument décisif sur un marché concurrentiel », rappelle-t-il. Ce frein permanent risque non seulement de faire perdre des clients, mais remet aussi en cause les perspectives de choix que le marché unique doit offrir aux consommateurs et aux entreprises. D’où ce soupçon de protectionnisme.
Un portail de simplification inefficace
Pour simplifier la chose, un portail dédié aux demandes d’attestation (SIPSI) a été mis en place. Oui, mais… les entreprises étrangères ne peuvent y accéder car le formulaire d’inscription présente un champ obligatoire qu’elles ne peuvent pas remplir, à savoir le « numéro de siret » qui est une particularité française n’existant pas ailleurs. « Nos ressortissants sont inquiets car ils ne peuvent même pas se connecter ! Nous avons bien fait remonter jusqu’à Paris toutes les questions qui se posent ici au quotidien, mais n’avons toujours pas de réponses [depuis février 2016]. »
La situation est d’autant plus délicate que les sanctions appliquées en cas de défaut de document vont de 450 à 3 750 EUR, une peine d’emprisonnement n’étant pas exclue. Une entreprise verbalisée plusieurs fois se serait retrouvée avec une ardoise de 500 000 EUR.
Les entreprises alsaciennes peuvent être inquiétées
Côté alsacien, les chambres cherchent actuellement des solutions de proximité avec leurs homologues badois. D’autant plus que la réglementation impose aux clients commerciaux français de vérifier que leurs fournisseurs étrangers ont bien fait les démarches nécessaires. Sans quoi, ils peuvent être également priés de passer à la caisse.
Passeport de services européen
Face à cette situation kafkaïenne, la question d’un certain protectionnisme peut se poser. Les fédérations et institutions professionnelles badoises soulignent que la Commission européenne étudie depuis fin 2015 l’introduction d’un « passeport de services » permettant aux entreprises de répondre aux exigences de l’État membre dans lequel elles interviennent. Cela servirait aussi bien la cause de chaque Etat que celle du libre-échange pour les clients, les employés et les entreprises. Dans l’esprit européen et non dans le cadre d’une action isolée.
Source : Dernières Nouvelles d’Alsace du 21.09.16 Florence Baader
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